Boubacar Camara – «Karim Wade, mes détracteurs et moi» – ITV
Soldat de deuxième classe avant de devenir directeur des Douanes, avocat puis Inspecteur général d’Etat, Boubacar CAMARA a connu plusieurs vies, mais toutes avaient un seul idéal: servir son pays. Engagé en politique, il y a presque une semaine, le chef de file de la “Génération Y” a accordé à l’Observateur l’une de ses premières interviews.
Boubacar Camara, vous venez de faire votre déclaration d’engagement en politique, avec comme slogan «Jengu Ngir Jëriñ Senegaal». Qu’est-ce qui vous motive ? Pourquoi attendre ce moment pour le faire ?
Lors de la leçon inaugurale que j’ai eu le privilège de prononcer à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le 11 janvier 2011, je concluais mon propos ainsi : «Servir l’État, c’est résister et rembourser.» Voilà le fil conducteur de mon engagement. Après avoir servi l’État, y compris à des positions importantes (Directeur général des Douanes, Secrétaire général de ministère, Inspecteur général d’État) et résisté aux tentations contre les valeurs de mon éducation, le respect du service public et la sauvegarde du bien public, je suis aujourd’hui motivé par le devoir de remboursement au vaillant peuple sénégalais qui m’a tout donné, des bienfaits tirés de l’école publique, du service militaire, de la fonction publique et du secteur privé. L’engagement politique est un long et difficile voyage. Il convient de choisir la bonne gare, le bon train et le bon wagon. Nous avons estimé que c’est le moment opportun, la bonne gare pour monter dans le train des sentinelles du Sénégal qui fait battre notre cœur. Le Sénégal se porte mal et a besoin de tous ses fils pour une rectification durable. Nous pensons avoir réuni les conditions pour participer à ce combat patriotique. Par conséquent, nous nous sommes libérés de toutes les contraintes administratives, en prenant une retraite anticipée de huit années de l’Inspection générale d’État, nous avons démissionné de toutes nos fonctions d’administrateur et de la Présidence du Conseil d’administration de Sococim, nous avons quitté toutes les missions qui sont incompatibles avec cet engagement politique.
Pour certains observateurs, vous êtes entré dans le champ politique depuis longtemps, vous avez utilisé, de manière détournée, un mouvement citoyen, c’est-à-dire la Génération Y, comme un levier politique. Est-ce vrai ?
C’est une erreur manifeste d’appréciation de la part de ces observateurs non avertis. En effet, lorsque je me suis libéré du devoir de réserve, en quittant volontairement l’Inspection générale d’État, j’ai commis des experts pour m’indiquer les modalités de prise en charge de ma volonté de migrer vers une plus grande implication pour soutenir les personnes vulnérables. Les termes de référence mettaient en exergue mes préoccupations pour le social, notamment à travers une Fondation pour les orphelins, travail que j’avais entamé à la douane, l’engagement dans les Collectivités locales, à travers la coopération décentralisée et la prise en charge des jeunes vivant dans la citadelle de la communauté virtuelle, par le biais des réseaux sociaux.
La recommandation ayant rencontré mon agrément, m’indique alors une implication auprès des jeunes. C’est ainsi que fut postée, via Facebook, la Lettre à la Génération Y, le 6 avril 2016. Cette Lettre n’est pas tombée dans les spams ! Un Mouvement associatif, apolitique, fut créé le 17 décembre 2016, avec comme objectifs de promouvoir la réussite des jeunes, la transmission intergénérationnelle et la prise en charge des préoccupations de la jeunesse dans toutes les politiques publiques. Aujourd’hui, le Mouvement Y dispose d’un récépissé, d’un siège, d’une Boîte à Outils qui reprend les seize blocs d’activités répartis dans six commissions et vient de publier un précieux document, le Livre blanc sur les préoccupations de la Jeunesse. Ce document a été élaboré à la suite de neuf panels animés par des spécialistes reconnus et cinq caravanes qui ont permis de sillonner le Sénégal de long en large et d’implanter près d’une soixantaine de cellules GY, contient quarante-cinq (45) recommandations. Lors de l’Assemblée générale du 28 avril 2018, j’ai considéré que ma mission est terminée et j’ai quitté la présidence de l’Association que je laisse dans les mains de jeunes conscients et motivés, sous la direction de Mme Awa Ndiaye Diouf, nouvelle présidente élue. Les jeunes m’ont désigné Président d’honneur. Je suis parti avec la forte recommandation aux jeunes de ne jamais politiser le Mouvement au profit de qui ce soit, à commencer par moi-même, car ce serait illégal et cela ruinerait la cohésion du groupe. Voilà la première tranche de mon remboursement ! La deuxième tranche commence avec mon engagement politique personnel, depuis le 15 mai 2018. Où se trouve alors le détournement d’un mouvement citoyen comme levier politique ?
Après cinquante-huit ans d’indépendance, vous évoquez un retard économique persistant. Voulez-vous dire qu’il s’agit là d’un constat d’échec ?
Peut-on sérieusement parler de réussite, lorsqu’un être humain vivote sans eau potable, sans toit, dans l’obscurité, privé de dépense quotidienne, sans une bonne éducation des enfants et quand des enseignants sont stigmatisés ? Peut-on parler avec respect de réussite avec des structures sanitaires insuffisantes, sous-équipées et un personnel démotivé ? Peut-on sans rire, parler de réussite, lorsque des jeunes diplômés sans-emplois vivent encore sous le toit familial, lorsque de jeunes enfants errent dans les rues, des haillons sur un corps à moitié couvert, à la recherche de la pitance quotidienne ? Peut-on sérieusement parler de réussite, quand la jeunesse emprunte les pirogues de fortune, au péril de leur vie, pour fuir l’humiliation du chômage ?
Peut-on vraiment parler de réussite, quand les agriculteurs éleveurs et pêcheurs vivent dans le dénuement, dans un recommencement perpétuel, avec un espoir déçu, chaque année ? Peut-on parler de réussite, quand les opérateurs économiques nationaux se voient privés de l’essentiel des marchés publics ? Peut-on vraiment parler de réussite, quand la politique est devenue un métier d’enrichissement rapide, avec la complicité d’affairistes cupides ? J’en passe… Je crois que le terme approprié pour bien nommer les choses, c’est l’échec. Bien sûr que des efforts considérables ont été déployés, depuis cinquante-huit ans, mais au vu des moyens mis à notre disposition, le pays qui nous est livré n’est pas à la hauteur des attentes du peuple sénégalais.
Dans votre déclaration d’engagement, vous parlez de l’État et de la gestion des affaires publiques, avec l’œil d’un homme neuf, alors que vous avez eu à occuper des responsabilités dans ce pays. N’est-ce pas contradictoire ?
Il n’y a aucune contradiction. C’est justement tout le sens du «JENGU NGIR JËRIÑ SENEGAAL». Ayant arpenté les couloirs de l’État, du secteur privé, de la vie sociale dans les quartiers, dans les villes et les campagnes, je me suis enrichi d’une expérience qui m’a permis de me convaincre que l’heure est grave et qu’il convient de se rebiffer pour le bien du Sénégal. Nos responsabilités ont toujours été assumées dans des cadres strictement limités à l’accomplissement de missions précises et bénéfiques pour le Sénégal. Ce cadre est devenu étroit pour un changement durable. C’est cela la nouveauté. La nouveauté, c’est également d’inviter ceux qui se sont toujours éloignés de la politique, sous prétexte que c’est un «milieu sale», à comprendre qu’en croisant les bras, ils font le jeu des affairistes politiques et affaiblissent les hommes politiques vertueux qui ont fait leurs preuves pour la défense de l’intérêt exclusif du Sénégal. Ku mën te deffoo, lu yaqu ci nga. L’œil neuf, c’est justement les propositions pertinentes, réalistes et réalisables qu’il faut formuler pour améliorer rapidement la situation et c’est là où nous sommes tous attendus. Comment allons-nous faire pour que l’agriculteur puisse vendre le kilogramme d’arachide à 500 FCfa ? Comment instaurer le droit universel au stage ? Comment garantir aux jeunes diplômés un premier emploi ? Comment renforcer l’employabilité des jeunes, à travers une formation professionnelle adéquate ? Comment booster la recherche scientifique dans les secteurs de l’agriculture, la santé, les technologies de l’information, par le biais de la Blockchain, notamment ? Comment aménager le territoire pour tirer profit des vocations et potentialités régionales jusque et y compris le transfert de la capitale ? Comment assurer l’accès suffisant pour tous et à un coût réduit, à l’eau potable et à l’électricité ?
Comment faire approprier à notre jeunesse la belle histoire de notre pays, notre culture, nos religions, nos traditions ? Comment industrialiser notre pays, à partir de nos ressources naturelles (gaz, pétrole, ressources de la mer, phosphates, etc.), dans le cadre d’une intégration sous-régionale bien pensée dans une Fédération de l’Atlantique Ouest, comme première étape vers une véritable intégration africaine ? Comment développer le tourisme ? Comment réorganiser les filières du riz, de l’élevage et de tous les secteurs, pour exploiter les chaînes de valeur ? Comment réorienter la coopération économique internationale pour mieux préserver les intérêts du Sénégal, en renforçant la capacité d’intervention de l’État ? Quelles réformes pour une administration de développement, avec l’institution de l’appel à candidations, pour tous les postes importants ? Comment assurer au travailleur une rémunération décente et un toit, au retraité un minimum vieillesse, pour garder sa dignité, quand l’âge avance ? Comment mettre fin à la dilapidation des deniers publics, à travers une prévention efficace et une répression dissuasive ? Nous y reviendrons dans le détail.
Vous avez été un des plus proches collaborateurs du ministre d’État, Karim Wade, qui a été condamné par la Justice sénégalaise, pour enrichissement illicite. Quel a été votre rôle aux côtés du fils du Président Wade ?
En effet, j’ai occupé les fonctions de Secrétaire général du ministère de la Coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures (Micati), devenu ministère de la Coopération internationale, des transports aériens, des infrastructures et de l’énergie (Micitie), avec l’adjonction de l’énergie et le retrait de l’aménagement du territoire, de mai 2009 à juin 2012. Inspecteur général d’État en disponibilité pour activité privée, j’étais alors avocat à Paris, quand je fus rappelé. La disponibilité révoquée, je fus détaché au ministère pour remplir cette exaltante mission. J’y ai travaillé sous la direction du ministre d’État, Karim Wade, des ministres délégués, Mme Mame Astou Gueye et Ibrahima Sarr et après l’alternance, pour quelques mois, avec le ministre Mor Ngom. Au cours de ce séjour, j’ai supervisé les services du ministère et les sociétés sous notre tutelle, composés de plus de cinq mille agents, une cinquantaine de directeurs généraux, directeurs et conseillers techniques. C’est à ce titre d’ailleurs, que j’ai été désigné Président du Conseil d’administration de Sénégal Airlines. Mon rôle de haut fonctionnaire était de m’assurer du bon fonctionnement de l’Administration et du déroulement des projets. Ce séjour m’a permis de renforcer mes capacités dans plusieurs domaines et j’en garde l’excellent souvenir de femmes et d’hommes dévoués au service public, malgré un contexte marqué par l’exposition politique du ministre d’État, Karim Wade, au centre de toutes les polémiques. Pour couronner notre modeste contribution, j’ai été élevé au grade d’Officier dans l’Ordre national du Lion, sur proposition de M. Karim Wade et sous la signature du Président Macky Sall. Le fonctionnaire est indifférent aux régimes politiques. Voilà les faits. Maintenant, aligner cette collaboration technique dans le cadre du service public et la condamnation ultérieure de Karim Wade, dans les conditions que l’on sait, de surcroît ou en déduire une quelconque suspicion, c’est soit méconnaitre le fonctionnement de l’Administration, soit être de mauvaise foi, afin d’entretenir une confusion à des fins politiques. Ceux qui nourrissent l’espoir d’entamer ma détermination par ce procédé, peuvent changer de cheval de bataille, car c’est perdu d’avance.
Beaucoup de leaders de partis ou de mouvements politiques ont déjà fait leur déclaration de candidature. Êtes-vous candidat à l’élection présidentielle de 2019 ? Qu’est-ce que le candidat Boubacar Camara propose de différent aux Sénégalais ?
Nous sommes dans une dynamique de concertations avec les forces vives qui partagent le constat alarmant de la situation de notre pays et la détermination à opérer un changement véritable adossé à une remise à l’endroit de tout ce qui a été déstructuré. Nous travaillons pour une alternative au profit des sans voix qui souffrent de l’incompétence, de l’inversion des priorités et de la dilapidation des ressources publiques. Nous nous concertons sur un projet de société alternatif crédible qui tienne compte des acquis de notre pays et trace la voie pour un développement durable. C’est cela l’essentiel. La différence est qu’il ne s’agit plus de remplacer Massamba par Mademba et de le laisser faire comme Massamba. L’équipe de femmes et d’hommes crédibles qui portent le programme de développement, désignera le meilleur profil pour briguer le suffrage des Sénégalais. Je suis prêt à assumer cette charge.
On constate que les préoccupations de la jeunesse sont au cœur de votre projet de société et là, on assiste à des meurtres d’étudiants par les forces de l’ordre. Que proposez-vous pour mettre fin à ces drames ?
La mort d’un étudiant, en plus d’être un drame national et familial, est une perte de ressource considérable pour le développement de notre pays.
Pourtant, les étudiants subissent, depuis 58 ans, la répression des pouvoirs publics, en réponse à leurs légitimes revendications : emprisonnement, enrôlement forcé dans l’Armée et assassinat. Nous nous souvenons de Oumar Blondin Diop, Balla Gaye, Bassirou Faye et aujourd’hui Fallou Sène. Nous nous inclinons devant leur mémoire. Le respect strict des franchises universitaires est un impératif non négociable, c’est la première mesure de sécurité pour ramener la quiétude dans les temples du savoir. La jeunesse de mon pays souffre de la prise en charge insuffisante de ses préoccupations, surtout dans les domaines de l’éducation et de l’emploi. La solution définitive à ce drame passe par la mise en œuvre d’une politique hardie et sérieuse pour mettre les étudiants dans des conditions décentes de travail.
Source : IGfm