Paru dans la revue « L’Ecrivain », Magazine littéraire trimestriel-ISSN 0850 686- Hors série 2 sur « CHEIKH ANTA DIOP, la passion du savoir et de l’Afrique » pp. 33-34
Témoignage sur le Professeur Cheikh Anta DIOP
Souvenir indélébile d’un homme d’une dimension exceptionnelle
Jeune lycéen à Blaise Diagne, en 1976, l’infatigable Assane FALL nous fait tout épouser du Rassemblement National Démocratique (RND) du Professeur Cheikh Anta DIOP : le patriotisme, l’engagement pour alléger les souffrances des sénégalais, l’attachement aux langues nationales, la combativité notamment pour la reconnaissance du parti, le volontarisme et le profond respect pour son leader.
Assane nous fit rencontrer le Professeur Cheikh Anta DIOP (j’étais en compagnie de M.Bocar Ly, actuellement membre de RTA/S). Nous le revîmes deux autres fois dans son bureau à l’IFAN (Université de Dakar qui porte actuellement son nom).
J’ai été particulièrement frappé par l’humilité de ce grand Homme. Le Professeur Cheikh Anta DIOP nous consacrait beaucoup de temps, sans aucun signe d’empressement, il répondait dans le détail à toutes nos questions. Il réaffirmait sans relâche son attachement à la jeunesse africaine.
Pour ma part, les souvenirs de ces entretiens m’ont administré trois leçons :
- La transmission de la science aux générations futures est un combat indispensable et un enjeu de pouvoir
En pleine discussion, nous fûmes interrompus par l’arrivée de son chauffeur du nom de Bara, qui lui tend un passeport. Il scrute machinalement le document et s’exclame « Woyez vous, ils m’ont refusé le visa pour me rendre aux Etats Unis à une conférence importante sur l’égyptologie »
Etant témoin de cette scène poignante, comment puis-je oublier cette humiliation d’une sommité scientifique africaine dans sa terre natale ? Cet événement est à jamais gravée dans ma mémoire.
Sa réaction a été a vive, à juste raison. Débout, furieux, il s’est demandé comment, dans ces conditions, il pourrait transmettre son savoir aux générations futures. Le mot est lâché ! Le souci du Pr Cheikh Anta DIOP, comme de tous les grands hommes, est de mettre à la disposition de la postérité les outils nécessaires pour faire face aux enjeux du développement.
Depuis ce jour, la prise en compte des générations futures est devenue pour moi un critère essentiel pour apprécier la qualité d’un engagement.
- Le traitement fait des langues nationales renseigne sur la volonté de développer un pays
En marge de notre apprentissage du wolof, des interrogations nous tenaillaient sur la faisabilité de la généralisation des langues nationales notamment la traduction des concepts abstraits des sciences surtout la mathématique.
La rencontre avec le Pr. Cheikh Anta DIOP était donc une occasion rêvée pour exposer nos doutes. Une brillante démonstration nous fut servie avec une multitude d’exemples et d’illustrations qui peuvent convaincre les plus sceptiques.
Pour confirmer la solidité de la construction scientifique des langues nationales, le Professeur nous prête un Bulletin de l’IFAN de 1975. Dans ce précieux document, un théorème mathématique sur la congruité, qui n’avait pas encore fait l’objet d’une démonstration (Il nous disait que celui le faisait mériterait le Prix Nobel de Mathématiques), a été entièrement exposé en wolof.
Sa passion pour les langues nationales se traduisait dans plusieurs activités au sein du RND : le journal SIGGI devenu TAXAW, le recours au « wolofal » (contenu wolof écrit avec l’alphabet arabe), les pièces théâtrales entre autres, ont permis d’atteindre le plus grand nombre et de vulgariser les idées du leader Cheikh Anta DIOP.
Il aimait ressasser que « le développement d’un pays avec une langue étrangère est un leurre ».
- Le combat politique est indispensable pour faire triompher ses idées et suppose une constance incompatible avec la tortuosité
Avec patience et passion, le Pr. Cheikh Anta DIOP nous a présenté la genèse de la création du RND, l’idée qu’il avait d’en faire un grand rassemblement patriotique dans lequel toutes les composantes de l’opposition politique y trouveraient leur place, les consultations engagées à cet effet, son refus de la clandestinité et son aversion pour l’inconstance politique.
Il décrivait avec humour la mobilité (on dirait transhumance aujourd’hui) des hommes politiques qui n’avaient pas hésité à saborder le Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) et le Front National (FNS), partis qu’il avait crées avant le RND.
Il comparait avec pertinence certains partis politiques à des trous de renards de sable (paxi wel), sorte de vases communicants entre lesquels les militants alimentaires valsaient sans principe. Quelle prémonition !
Le Pr. Cheikh Anta DIOP, avec pédagogie, nous livrait une démonstration magistrale sur les liens entre la sécurité, l’industrialisation, l’agriculture, la désertification et l’unité africaine pour un développement durable de l’Afrique.
Ses relations heurtées avec le défunt Président Senghor, qu’il plaçait strictement sur le plan des idées, renseignent sur le sens de son combat politique : faire triompher des idées dont il est convaincu de la pertinence scientifique et de la conformité aux intérêts du peuple.
Au sortir de ces rencontres, il me plaisait de faire le tour des cellules RND pour rendre compte avec joie et fierté des entretiens. Que M.Cheikh Sadibou Niakhaté (Colobane) et Mme Abibatou Ly (Grand Yoff) trouvent ici l’expression de mes ferventes prières pour que la Terre de Yoff leur soit légère.
Ce bout d’histoire, si minime soit-il, est important pour découvrir un pan des valeurs cardinales incarnées par un homme dont le trentenaire du décès est célébré aujourd’hui. Le souvenir gardé du Pr. Cheikh Anta DIOP est celui d’un homme pétri de savoir et de générosité.
Dr Boubacar CAMARA
Consultant
Février 2016